L’EMA et la crise de la Covid-19
Vaccin Astra Zeneca
Le 18 mars dernier, quelques jours après une suspension du vaccin Astra Zeneca contre le coronavirus, suite à des signalements de cas de thromboses graves, l’Agence Européenne du Médicament (EMA) rend un avis ferme et rassurant. La vaccination peut suivre son cours dans la plupart des pays, souvent avec des restrictions d’âge. Jean Castex est l’un des premiers à se faire vacciner le lendemain, pour montrer l’exemple.
Or, le 7 avril, devant la remontée de nouveaux cas couverte par les medias, l’EMA est amenée à revoir son jugement. L’Europe est suspendue aux lèvres de la présidente de l’EMA, Emer Cooke.
Le message passe de :
Le vaccin Astra Zeneca contre le coronavirus est “sûr et efficace” et “n’est pas associé” à un risque plus élevé de caillots sanguins”
à
L’EMA confirme le risque très rare de caillots sanguins avec le vaccin anti covid Astra Zeneca mais assure que sa balance bénéfice/risque reste “positive” (le 7 avril).
Mardi prochain, on prend les mêmes et on recommence. On modifie juste la marque du vaccin, Johnson & Johnson, qui lui aussi provoquerait des accidents thrombo-emboliques.
Remdesivir de Gilead
Retour en arrière, le 25 juin 2020, avant l’avènement des vaccins. Les laboratoires rivalisent pour trouver un traitement curatif à la Covid19. La polémique à propos de l’efficacité de l’hydroxychloroquine bat son plein, les différentes études successives invalident les résultats initiaux de l’équipe du Pr Raoult. Ils souffraient notamment de biais méthodologiques. En gros, les données étaient tout sauf solides.
Ce jour là, l’EMA prend la décision d’autoriser la mise sur le marché du remdesivir, molécule commercialisée par le laboratoire Gilead. On attend de l’Agence qu’elle prenne ses décisions sur des données fiables, c’est-à-dire sur la base d’essais comparatifs randomisés. Et c’est c’est exactement la voie qu’elle n’a pas suivie.
La revue Prescrire commente : “Une fois de plus, l’EMA a manqué de rigueur dans sa relation avec les firmes, aux dépens des patients et soignants, laissés dans l’incertitude.”
Au mois d’octobre, suite à cette décision a priori insensée, l’Europe signe un contrat mirobolant avec Gilead, alors que l’industriel vient de prendre connaissance de la dernière étude de l’OMS qui invalide l’efficacité de son traitement. À l’insu, semble-t-il, de l’Union Européenne.
Nous évoquons cette séquence déplorable dans un article sur notre site :
Une question de confiance
À première vue, ces errements, survenant dans la période particulière que nous connaissons, pourraient passer pour des aléas inévitables dans la vie d’un organe de régulation. Des difficultés d’analyse en période de crise, des données qui remontent au compte-gouttes, des négligences, des erreurs d’appréciation, peut-être une dose d’incompétence et la pression des politiques. Et nous devons garder en tête ces facteurs potentiels.
Mais les citoyens ont connu plusieurs scandales sanitaires qui les ont échaudés et dans lesquels le rôle du régulateur était patent, comme celui du Mediator*, de la Dépakine* ou bien du Vioxx*. Des autorisations de mise sur le marché accordées à la va-vite, et, au contraire, les pieds qui traînent pour retirer un médicament devant des signaux d’alerte significatifs, sur fond de conflits d’intérêts.
Afin de garder la confiance des citoyens européens, le gendarme du médicament se doit de respecter des règles de fonctionnement claires et entendues de tous afin d’éviter la suspicion. Nous proposons ici un voyage au travers des institutions européennes, et plus particulièrement l’EMA, dans le but de placer notre confiance au juste niveau de leur philosophie et de leur fonctionnement.
Le Parlement européen et les lobbies
Avant de porter notre attention plus précisément sur l’EMA, quelques notions sur le fonctionnement de l’Union Européenne semblent nécessaires pour nous permettre de contextualiser.
Tiens, une plaque devant le parlement!
Commençons par une déambulation dans le quartier européen de Bruxelles. Nous sommes à l’entrée du Parlement Européen. La présence des lobbys y est matérialisée par une plaque bien en vue, repérée par le journaliste François Ruffin.
Ce dernier interroge un député européen1Faut-il faire sauter Bruxelles? Editions Fakir, 2014 :
On a rend-vous, “office 12 G 116” avec Alain Hutchinson, alors député européen. Un Belge, Socialiste. Partisan du “oui” au Traité constitutionnel européen.
“Vous avez vu la plaque, en bas?
– Non, quelle plaque?
– La plaque d’amitié entre le Parlement et les lobbies…
– Non, je n’ai jamais fait attention. Si j’avais su, j’aurai posé une question parlementaire. Mais ça ne me surprend qu’à peine. Les lobbies sont ici chez eux : ils passent dans les bureaux, déposent des dossiers, des stylos, vous invitent au restaurant.”
Et l’élu de dénoncer ce “marché persan”, cette “pieuvre”, cette “soupe permanente”, etc.
“Avec cette pression, les industriels remportent deux victoires. D’abord, les règlementations, qui s’accordent largement à leurs désirs, par exemple sur Reach pour la chimie. Ensuite, surtout, ça crée un climat pro-business, une ambiance libérale. Parceque Constitution ou pas Constitution, le libéralisme est gravé dans le marbre. C’est ici, à la Commission, qu’ils ont libéralisé l’énergie. C’est ici qu’ils ont libéralisé le dernier pan de la Poste.”
Quittons le parlement pour une marche aux alentours du Parlement. On y trouve essentiellement des bâtiments abritant des cabinets de relations publiques qui défendent les intérêts des groupes industriels. Après Washington, Bruxelles serait la ville qui compterait le plus de lobbyistes au monde : entre 15 000 et 20 000 pour 3 000 lobbies.
La voix et les mains de Big Pharma
Intéressons-nous maintenant à la Fédération européenne des associations et industries pharmaceutiques (EFPIA).
Quelle distance sépare le siège de l’EFPIA des institutions européennes?
500 mètres du Parlement. 1 km de la Commission. Loin des yeux, loin du cœur, les lobbyistes semblent l’avoir compris.
L’association CEO2Le Corporate Europe Observatory (CEO ou « Observatoire de l’Europe industrielle ») est un centre de recherche ayant son siège (opérationnel) à Bruxelles et une antenne juridique à Amsterdam, ayant un statut d’association. Son centre d’intérêt est la manière dont les lobbys des grandes entreprises et corporations influencent la construction, la mise en œuvre et l’évaluation des stratégies et politiques européennes publiques et de la réglementation européenne, parfois au détriment des équilibres sociaux, sociétaux et environnementaux. Cette ONG plaide pour une plus grande transparence et régulation des activités de lobbying, notamment dans le cadre du projet de TTIP1. (Wikipedia), qui observe les lobbys européens, a consacré un rapport sur le lobby de l’industrie pharmaceutique, publié en 2015. L’EFPIA y est reconnue comme le cœur de la machine du lobbying pharmaceutique et représente les intérêts des principaux industriels opérant sur le sol européen, parmi lesquels GSK, Pfizer, Astra Zeneca, Johnson & Jonhson, Sanofi, etc…
Pour se donner une idée de l’activité du lobby, le registre de contacts consigne pas moins de 50 rencontres dans les 4 premiers mois et demi de la Commission Juncker.
Un sous-groupe Vaccines Europe (VE) figure indépendamment sur le registre des lobbys, alors qu’il n’est qu’une émanation de l’EFPIA. Cela leur permet d’augmenter le nombre d’interactions.
Les dépenses déclarées par le lobby pharmaceutique représentent 15 fois3CEO avertit qu’une sous-notification est à prendre en compte celles déclarées par les organisations de la société civile.
Quant à l’effectif des lobbyistes, il est trois fois supérieur du côté industriel. Facteur probablement sous-estimé, car les intervenants de la société civile ne sont pas dédiés à temps plein au le secteur de la santé.
La novlangue de l’innovation
Les éléments de langage savamment employés par les lobbystes sont nommés humoristiquement “Pharmish” par un observateur.
Parler “Pharmish”, c’est employer aussi souvent que possible le mot innovation (alors que ce terme veut simplement dire nouveau), c’est mettre l’accent sur l’investissement des industriels dans la recherche (alors qu’elle est principalement financée par le secteur public) et c’est aussi défendre leurs brevets (afin de contrer l’arrivée de génériques).
Autrement, l’emploi ad libitum du terme innovation égare la personne non avertie car, en réalité, il ne signifie pas qu’un traitement apporte une plus value par rapport à l’existant, mais plutôt qu’il s’agit d’un nouveau traitement disponible sur le marché.
96% des nouveaux traitements apportent un progrès jugé mineur ou nul.
En effet, les réelles avancées thérapeutiques sont rares ces dernières décennies.
Pour se faire une idée, il suffit de consulter les évaluations de l’Agence française HAS qui note chaque année les molécules en fonction du progrès apporté. On emploie le critère d’Amélioration du Service Médical Rendu ou ASMR.
En 2017, sur 53 nouveaux médicaments, seuls 13 apportent un progrès thérapeutique : 2 apportent un progrès modéré (ASMR III) et 11, un progrès mineur (ASMR IV).
Aucun nouveau traitement n’a obtenu la mention ASMR I qui est attribuée à un progrès majeur, équivalent à «innovation de rupture».
Aucun nouveau traitement n’a obtenu d’ASMR II correspondant à un progrès important.
Trois produits sur quatre n’apportent aucun progrès (ASMR V : progrès nul).
Et 2017 n’est pas une années différentes des autres. Pour en savoir plus, consulter cet article sur le site du Formindep. Et prendre le temps d’écouter les explications de Pierre Chirac de la revue Prescrire, auditionné à l’Assemblée Nationale :
L’EFPIA met en œuvre des moyens conséquents pour égarer ses contacts. Son objectif est, avant tout, d’influencer afin de raccourcir et simplifier l’accès au marché. Pour cela, elle plaide pour une régulation de moins en moins contraignante concernant l’évaluation de l’efficacité des traitements et la pharmacovigilance. Le tout en rendant le processus le moins transparent possible.
In fine, il s’agit de maximiser les bénéfices. Reste à savoir si cela peut se faire sans porter préjudice à la santé des Européens.
La Commission européenne et le cas Juncker
Nous reparlerons un peu plus loin de l’EFPIA, mais en attendant, penchons-nous sur la Commission européenne et plus précisément sur son président sortant, Jean-Claude Juncker. Si l’on prend le temps de s’intéresser à ce personnage, président de la Commission de 2014 à 2019, c’est qu’à un certain point, il illustre ce qu’est, ou du moins ce à quoi consent, l’Union européenne.
Le loup dans la bergerie
Dans un livre intitulé “Le loup dans la bergerie”, sous-titré “Jean-Claude Juncker, l’homme des paradis fiscaux, placé à la tête de l’Europe”, l’ex-juge et députée européenne Eva Joly se penche sur le parcours, les paroles et les agissements de l’homme politique luxembourgeois.
Ministre des finances à partir de 1989, puis premier ministre de 1995 à 2013, il transforme en profondeur la politique fiscale de son pays, ce qui permet d’y attirer les plus grandes multinationales. Il est celui qui a mis en place des accords fiscaux ouvrant la voie à une concurrence clairement déloyale avec les autres États membres.
Auparavant, bassin minier, le pays connaissait le même déclin industriel que la Lorraine. Aujourd’hui, il est l’un des plus riches au monde par habitant.
Au moment où il est élu président de la Commission en 2014, l’UE est bousculée par les révélations de Luxleaks, elle doit faire face à la question des paradis fiscaux. Jean-Claude Juncker déclare partir en “croisade” contre ce fléau qui prive les autres États de l’Union de recettes fiscales substantielles.
L’enjeu est important. Que fait la Commission? Elle élude, elle publie même une liste noire en 2015, mise à jour depuis, où ne figurent ni le Luxembourg, ni l’Irlande, Malte ou les Pays-Bas, les paradis fiscaux européens.
La croisade était de façade.
Google dans la bergerie
« Confier à quelqu’un qui a été ministre des Finances 18 ans du plus grand paradis fiscal en Europe la mission de lutter contre l’évasion fiscale, est-ce que ce ne serait pas comme désigner chef de police un braqueur de banque ? »
Laetitia Nadji, interview Youtube de Jean-Claude Juncker
Fin 2016, un sursaut citoyen viendra provoquer Jean-Claude Juncker sur la thématique de l’évasion fiscale, ainsi que sur le lobbying des industriels, lors d’une interview par une youtubeuse, Laetitia Nadji, diffusée en direct.
Outre le malaise créé par la parole libre d’une citoyenne, ce que cette séquence révèle, c’est la présence de Google (détenteur de Youtube) au sein des instances européennes, organisant une opération de communication grand public au profit de l’UE. Dans la vidéo, le représentant de Youtube semble comme un poisson dans l’eau et travaille main dans la main avec les services de la présidence de la Commission.
Et comment ne pas mettre en parallèle ce lobbying incestueux avec une complaisance patente vis-à-vis de la multinationale, elle qui organise sans complexes des évasions fiscales de notoriété publique?
Avoir à la tête de l’Union européenne une personne, au minimum complaisante, complice voire actrice de l’évasion fiscale et qui ouvre les portes à une multinationale prédatrice, ne révèle-t-il pas un stade avancé de dysfonctionnement institutionnel? Et une méconnaissance ou un désintérêt du public pour les lointaines affaires de Bruxelles?
La réponse dépend probablement du côté où l’on se situe : celui des intérêts privés ou celui des citoyens européens.
Les GAFAM et les autres multinationales échappant à l’impôt ne sont pas directement liées au domaine de la santé. Mais ces exemples de faux-semblants et de manœuvres opaques bénéficient à des entreprises puissantes et influentes. Et les entreprises du domaine de la santé ne jouent-elles pas dans la cour des grands?
Voyons maintenant comment celles-ci interagissent avec l’EMA, le gendarme du médicament.
Focus sur le gendarme du médicament
Créé en 1995, déménagée à Amsterdam depuis le Brexit, elle était hébergée précédemment à Londres, à Canary Wharf, le quartier des affaires. Son rôle de régulateur des médicaments supplante de plus en plus celui des autorités nationales, notamment par la centralisation des Autorisations de mise sur le marché (AMM). Au niveau européen, les rôles sont partagés : l’EMA émet des recommandations et la Commission européenne octroie l’AMM.
L’enjeu de l’uniformisation
Auparavant, les entreprises devaient obtenir ces autorisations auprès de chaque État. Mais la souveraineté dans ce domaine est désormais réduite. Il reste encore l’évaluation de l’intérêt thérapeutique par les Agences nationales qui conditionne le remboursement des traitements (et donc leur viabilité) dans le pays. Cet article de la revue Prescrire montre qu’en 2019, l’Agence française s’est servi à huit reprises de ce levier pour contrer des AMM européennes laxistes :
On voit également que dans la gestion des effets secondaires du vaccin Astra Zeneca, la diversité des avis des Agences nationales entraîne des suspensions et des restrictions d’âge différentes selon les pays. On peut considérer que cela alimente la controverse scientifique et permet de faire progresser les décisions dans le bon sens. Sans l’avis des pays scandinaves opposés à celui de l’EMA, celle-ci n’aurait peut-être pas encore reconnu un lien avec les thromboses.
Et on peut porter notre réflexion sur l’intérêt de cette hétérogénéité que l’EMA cherche à faire disparaître, tel que le relate ce nouvel article de la revue Prescrire :
L’EMA par l’EMA
Poursuivons le tour du propriétaire. Sur le site officiel, voici comment l’Agence détaille ses différents rôles :
N’est-il pas curieux de constater que la première mission affichée concerne la facilitation de l’accès aux médicaments, devant leur évaluation et la sécurité?
Les termes employés ici ne vont pas sans rappeler le parler “Pharmish” employé par les lobbyistes de l’EFPIA : accès précoce, innovation, thérapies avancées. Et même, une “Innovation Task Force” pour travailler de manière rapprochée avec les industriels sur ces fameuses innovations.
Rappelons, encore ici, que le terme innovation veut simplement dire médicament nouveau sur le marché, pour les administrations.
Remarquons également un intitulé a priori curieux : “scientific advice and protocol assistance“. Non, ce n’est pas une blague, l’agence propose des services payants (entre 44 400 et 89 000 €) pour aider les industriels à monter leurs dossiers d’autorisation ou protocoles d’études pour ne pas perdre de temps en paperasseries et leur enseigner plus précisément ce que l’on attend d’eux!
Comme si les examinateurs d’un concours proposaient leurs services de coaching à des candidats.
Prescrire et le Collectif Europe et Médicaments, ainsi que le Médiateur européen ont fait part de leur inquiétude quant à ce dispositif.
Les cordons de la bourse
À ces redevances payées par les industriels, s’ajoutent celles liées aux demandes d’AMM et à la pharmacovigilance. Au final, la proportion du budget de l’EMA abondé par les firmes est loin d’être anecdotique, puisqu’elle est de 86% pour 2021. Et elle est croissante sur les dix dernières années (76% en 2008). L’Agence est lourdement et de plus en plus dépendante du financement des entreprises qu’elle est censée contrôler, sans que cela ne gène personne.
Les femmes et les hommes de l’Agence
Comme nous l’avons fait avec la Commission européenne, penchons-nous désormais sur les personnes qui détiennent les postes à responsabilité de l’Agence. Certes, connaître le parcours d’un responsable d’institution ne dit pas tout sur celle-ci, cela permet d’entrevoir son esprit, tout du moins un bout de sa philosophie.
Les dirigeants ou responsables de l’EMA que nous allons présenter permettent de rappeler et d’illustrer la notion de “portes tournantes“4La porte tambour (revolving doors), aussi appelée « porte tournante » ou « chaise musicale », est un phénomène de rotation de personnel entre un rôle de législateur et régulateur d’une part, et un poste dans l’industrie affecté par ces mêmes législation et régulation (donc avec suspicion de conflit d’intérêt) d’autre part. Dans certains cas ces rôles sont assumés séquentiellement, mais dans certaines circonstances ils peuvent être assumés en même temps. Les analystes politiques pensent qu’une relation malsaine peut se développer entre le secteur privé et le gouvernement, basé sur l’allocation de privilèges réciproques au détriment de l’intérêt de la nation… Les lobbyistes jouent également un rôle essentiel dans ce phénomène. Wikipedia, “revolving doors” en anglais.
Un exemple connu, que l’on peut citer, est celui de J-M Barroso, ancien président de la Commission qui a été gratifié d’un poste chez Goldman Sachs, une des banques responsables de la crise des Subprimes de 2008. Même s’il a respecté le délai légal pour accepter le poste, il n’en reste pas moins qu’il était aux affaires aux lendemains de la crise et, donc, peut être suspecté d’avoir œuvré dans l’intérêt de la banque.
Le pantoufleur et la transparence
Evoquons tout d’abord le président de l’EMA de 2000 à 2010, Thomas Lönngren, à travers un article du Formindep.
A la fin de son mandat, il confie son bilan à une revue professionnelle de l’industrie pharmaceutique. Il y vante la discrétion de l’Agence, sa diligence et sa prévisibilité.
A-t-il rencontré des difficultés pour trouver un nouvel emploi? Cette interview sonne comme un appel du pied puisqu’il est resté dans le domaine de la santé, mais du côté des firmes qu’il contrôlait encore la veille. Il rejoint l’équipe dirigeante d’une société de lobbying dont il fait toujours partie.
Mais cela ne suffit pas. Il se lance dans d’autres activités comme la direction d’une société de biothérapies, des postes de conseil scientifique pour des firmes qui ont grand besoin d’un soutien pour des dépôts d’AMM.
Si l’éthique a été respectée, on suppose que M. Lönngren n’a pas fait profiter ses nouveaux employeurs de son carnet d’adresses et de ses connaissances précises des procédures.
Aujourd’hui, dans son profil Linkedin, l’ex-président fait toujours état de son expérience dans la régulation des médicaments et de ses nombreuses activités qu’on lui souhaite profitables et épanouissantes.
Mais l’association Formindep commence à devenir rabat-joie quand elle rappelle que le pantouflage de T. Lönngren était illégal, en plus de contrevenir à l’éthique de la fonction.
Dans un autre article, le Formindep critique sévèrement la politique de transparence de l’Agence durant le mandat de Thomas Lönngren et reste sceptique quant à sa volonté réelle d’améliorer la situation.
Sont pointées des pratiques de refus de communication de documents, et lorsque ces derniers sont obtenus, de caviardage intensif, invoquant le secret commercial. Comme si l’Agence avait des choses à cacher.
Le french-lobbyst & the Mediator*
Mais ça… c’était avant. Au départ de T. Lönngren, un intérim de deux ans a été assuré par un médecin français, Eric Abadie. Quant l’un quitte l’Agence pour soutenir l’industrie pharmaceutique, l’autre en vient. On respecte parfaitement le processus des “portes tournantes”. En effet, Eric Abadie a été directeur médical du lobby pharmaceutique français.
Ce dernier démissionne de l’EMA en 2012, alors que des députées européennes écologistes ont déclenché une enquête, au niveau européen, sur son rôle dans la pharmacovigilance défaillante dans l’affaire du Mediator*.
En effet, avant le retrait du marché en France en 2009, Eric Abadie était responsable de la pharmacovigilance à l’EMA et en même temps en poste à l’Agence française (Afssaps à l’époque).
Suite à sa démission de l’EMA, il a pantouflé comme consultant d’excellence d’après ses pairs.
Signalons au passage, le rôle de Jean-Michel Alexandre qui officiait en même temps pour les mêmes agences entre 1995 et 2000. Ce dernier a pantouflé par la suite chez Servier. Penser à des services rendus trouvant là leur récompense est tentant.
A première vue, on imagine aisément le bénéfice que les Européens pourraient tirer de l’Europe dans un domaine comme celui de la pharmacovigilance : une centralisation des données devrait permettre un recul et la possibilité d’informer chaque pays par l’intermédiaire de ses correspondants auprès de l’EMA.
Mais, il n’en va pas ainsi. Dans l’affaire Mediator*, l’EMA porte une lourde responsabilité. Celle de ne pas avoir interdit la molécule en 1999 alors que l’Italie lui demandait d’en ré-évaluer la balance bénéfice-risque. Et celle d’avoir suivi les retraits nationaux du médicaments en Espagne, puis en Italie sans communiquer en direction des autres états membres.
C’est encore la même question qui se pose : erreur, lourdeur de l’administration, incompétence, silence complice, sabotage?
Le lobbyste nettoyeur
En juin 2013, comme le relate la revue Prescrire, l’EMA fait un pas en avant vers plus de transparence en se proposant de rendre accessible sur internet les données cliniques support des demandes d’AMM des firmes. Mais, sous la pression des lobbys, cette volonté affichée n’a pas abouti. Finalement ce projet ambitieux accouche d’une souris car le secret des affaires est invoqué alors qu’il est appliqué habituellement dans le domaine du commerce.
Et qui est le responsable des affaires légales embauché au mois de juin 2013 au sein de l’EMA?
Comme le relate l’association CEO, il s’agit de Stefano Marino, 23 ans de carrière dans l’industrie pharmaceutique et cadre de l’EFPIA depuis 2005. Si jamais l’Agence s’en tenait à ses propres règles, il n’aurait pas même eu le droit de participer au groupe de travail sur la transparence des données des essais cliniques.
Mais, ça,… c’est en théorie.
Vu de l’extérieur, l’embauche d’un lobbyste de l’EFPIA par l’EMA à un moment critique peut faire penser à une manœuvre en vue de contrer les avancées dans la transparence des données des essais cliniques, qui font si peur à l’EFPIA.
Et si l’on considère le point de vue de son ex-employeur, le job a été fait.
Mi-octobre 2014, un autre recul est à déplorer concernant, cette fois, la gestion des conflits d’intérêts des experts auxquels l’Agence a recours. Toujours selon la revue Prescrire, contrairement aux attentes du Parlement européen qui avait fait pression sur l’EMA pour les limiter, des mesures sont prises pour aller dans le sens inverse.
Stefano Marino est alors toujours en place, et bien qu’aucun lien de causalité ne peut être affirmé, son profil et son poste ne nous permettent pas d’écarter sa participation dans cette régression qui va à l’encontre de la volonté Parlement et de l’intérêt des citoyens.
Lobbies on top
Aujourd’hui, l’administration de l’Agence paraît irréprochable, aucun de ses membres ne déclare de conflit d’intérêt. Ils sont quelques uns à avoir travaillé antérieurement pour l’industrie pharmaceutique et lorsque c’est le cas, peu d’années et à des postes secondaires.
Notons tout de même, à un poste sensible, celui de la direction de la pharmacovigilance, le profil d’un médecin employé douze années par différents laboratoires.
Mais le plus dérangeant est à venir. Deux profils ayant travaillé pour l’industrie ET pour le lobby EFPIA. C’est à dire des personnes dont le rôle a été pendant plusieurs années de séduire les politiques européens pour les convaincre d’abaisser le niveau de contrôle, de faciliter l’accès au marché et de protéger les brevets.
Il est difficile d’admettre que le jour où ces personnes deviennent des gendarmes du médicament, elles traiteront leurs dossier avec la plus grande neutralité.
Et ici, il ne s’agit pas de seconds couteaux.
Tout d’abord, Stefano Marino, dont nous avons parlé plus haut, a tout bonnement gardé sa place à la tête du service légal depuis 8 ans.
Et surtout, de la directrice de l’Agence, Emer Cooke, en poste depuis novembre 2020. Elle a été lobbyiste pour l’EFPIA durant six années, après avoir également travaillé pour l’industrie pharmaceutique en Irlande pendant six années.
Dans sa déclaration de conflits d’intérêts, on regrette qu’elle n’ait pas renseigné la fonction de son éventuel conjoint. Des liens familiaux peuvent se nouer dans le milieu professionnel en début de carrière, en l’occurrence l’industrie pharmaceutique et le lobbying. Et à ce niveau de responsabilité, on devrait exiger le maximum d’informations.
D’ailleurs, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyden a joué le jeu, en déclarant les activités de son mari. Heiko von der Leyden est médecin, comme sa femme, et directeur médical d’une société spécialisée dans les thérapies cellulaires.
Une autre activité est déclarée : celle de conseiller dans une société de consulting, Mediq, qui propose à ses clients, des sociétés innovantes (!) dans le domaine de la santé de les aider à…, je vous le donne en mille, pénétrer le marché européen de la santé.
Gageons qu’avec une femme présidente de la Commission, l’argument client fasse mouche.
Revenons à Emer Cooke. On peut concevoir qu’une expérience au sein de l’industrie pharmaceutique représente un intérêt au sein de l’EMA. Mais, doubler cette expérience par une activité de lobbying industriel pose problème comme le fait remarquer le député autrichien Gerald Hauser devant son parlement :
L’esprit européen
C’est la crise de la Covid-19 qui nous a fait nous intéresser à l’EMA et notamment à sa philosophie. Mais, elle ne nous a pas attendu pour travailler et façonner le circuit des médicaments à l’image de ce qu’est l’Europe : un grand marché libéralisé.
Libéralisé dans le domaine de la santé, cela signifie soumis à moins de contraintes pour l’industriel, comme le demandent avec force et discrétion les lobbys.
Leur levier le plus efficace, il est déjà à installé à l’intérieur des institutions. On appelle cela la capture du régulateur.
Et comment cette capture de l’EMA se traduit-elle en pratique sur la santé des européens?
Nous consacrerons un deuxième article pour répondre sur la qualités des AMM qu’elle octroie, sa gestion de la pharmacovigilance, de la transparence des essais cliniques, ainsi que sur les évolutions règlementaires autour des AMM précoces.
Pour répondre à une question fondamentale : est-ce que l’intérêt des firmes passe avant celui des patients?
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1 comment
Très beau! Il faut avoir un bon sens de l’humour pour en rire.
Ces oligarchies qui nous gouvernent…
https://blogs.mediapart.fr/peter-bu/blog/100918/ces-oligarchies-qui-nous-gouvernent
Le libéralisme totalitaire et les super-mafias
https://blogs.mediapart.fr/peter-bu/blog/060119/le-liberalisme-totalitaire
Assassins en costume – cravate
https://blogs.mediapart.fr/peter-bu/blog/310317/assassins-en-costume-cravate