Article adapté d’un thread Twitter – en savoir plus
Il y a quelques mois j’avais tweeté cet étrange constat que plus un médecin demande de tests biologiques pour un patient donné, plus les chances d’avoir un faux positif c’est à dire une valeur signalée par le laboratoire comme au-delà des seuils étaient grandes.
Voici la référence et le constat:
Pour un seul test demandé, les chances d’avoir au moins un faux positif chez un individu sain choisi au hasard sont de 5%, pour 20 tests elles sont de 64%.
Comme l’attestent les références, ce phénomène n’est pas connu d’aujourd’hui, mais depuis au moins 30 ans, et est la conséquence nécessaire des modalités de choix des seuils pour les variables continues testées dans les examens de laboratoire.
Borée expliquait cela avec élégance, il y a quelques années: Anormale normalité | Le blog de Borée (boree.eu)
Il choisissait le terme de “hors normes” pour marquer la différence avec la notion de “pathologique”. On peut être hors normes, sans être dans la pathologie, par le simple jeu des conventions et des choix de seuils.
Il expliquait aussi la notion de régression à la moyenne: un individu donné peut présenter parfois des valeurs extrêmes pour une variable biologique, qui ne sont pas le reflet de ses valeurs habituelles. Il suffit alors d’attendre pour retrouver des résultats dans la norme.
Ce phénomène de régression à la moyenne a des implications bien au delà des résultats des tests de routine, dans les essais cliniques par exemple:
Dans ma référence initiale est discuté un autre aspect important: les seuils des tests biologiques sont fixés par convention, comme on l’a vu, mais sont indépendants de la fréquence réelle d’une pathologie.
L’impression de fréquence d’une pathologie, et le niveau de surdiagnostics dépendra donc aussi beaucoup de l’acharnement des médecins à faire des tests indépendamment de la fréquence réelle d’une pathologie dans la population.
Enfin, les tests de laboratoire ne sont pas parfaits, leurs performances sont définies par la sensibilité et la spécificité:
Cela a d’énormes implications pour le suivi des patients, pour l’établissement des diagnostics, pour déterminer la fréquence d’une pathologie dans une population et par voie de conséquence la fréquence des traitements.
Personnellement, je n’ai jamais entendu parler de ça pendant mes études, et je pense que cela n’a toujours pas été intégré dans la formation des médecins.
La principale conclusion à en tirer c’est qu’il est très important de croiser la clinique avec les résultats des tests (on pourrait aussi appliquer ce type de raisonnement à l’imagerie ou à l’anatomopathologie). Et que ne pas le faire entraîne nécessairement, inexorablement, une épidémie majeure de surdiagnostics.
Cela pourrait nous amener à réfléchir aussi sur les dangers du consumérisme médical et de la manie envahissante de tout mesurer et de tout surveiller dans une supposée logique de prévention.
Dans un article récent, les auteurs proposent une solution qui n’est que partielle, car elle ne prend en compte qu’une partie du problème, pour réduire les risques des bilans systématiques: sélectionner davantage les patients en fonction de leurs symptômes.
Cela peut apparaître comme totalement moderne et inédit, mais c’est plutôt très ancien: cela s’appelle avoir un raisonnement clinique, chose qui s’est beaucoup perdue au fur et à mesure qu’on s’est fié à la technologie pour prendre des décisions à notre place.
Cela illustre mon propos précédent: “Quand on cherche on trouve”. Mais est-ce vraiment cela que nous voulons?
PS: Pour mieux interpréter un examen, il faut tenir compte de la variabilité individuelle spontanée attendue des tests, qui change selon ce que l’on mesure.
Comment interpréter cela? Si un patient présente une variation inférieure à 60% dans les tests de laboratoire concernant ses gamma GT, on ne peut pas être raisonnablement certain que c’est l’alcool qui est en cause. Qu’on me corrige si je me trompe.
Pour aller plus loin
La notion de Reference Change Value est également intéressante à connaître. Les valeurs biologiques oscillent dans le temps en fonction de multiples paramètres biologiques (hydratation, moment de la journée, etc…) et ce phénomène est plus ou moins important selon la constante étudiée.
Par exemple, TSH, vitamine D, bilirubine vont connaître plus grandes variations que le potassium:
Voilà ce que cela donne sous forme de tableau:
Un outil en ligne a été élaboré par James P McCormack pour déterminer si une variation entre deux résultats biologiques peut être raisonnablement considérée comme une variation anormale, donc dépassant la variabilité biologique et celle due aux aléas de l’analyse. Ici, un exemple sur deux résultats consécutifs de TSH:
Pour creuser cette notion, voici un thread portant sur une webconférence de James P McCormack:
Et, enfin, un autre thread Twitter abordant la question des recommandations de tests itératifs pour certaines pathologies:
Twitter est un réseau social qui permet à l’utilisateur d’envoyer des messages courts (tweets) n’excédant pas 280 caractères (ce qui explique l’emploi fréquent d’abréviations). Un thread Twitter est une série de tweets qui se succèdent, émis par un même auteur pour former un contenu plus long. L’auteur peut d’ailleurs numéroter chaque tweet pour les ordonner. Cet article est une reprise sous format blog d’un thread Twitter dont voici l’origine :
2 comments
Alors quand la marche à suivre devant un malade entrant à l’hôpital consiste à le “bilanter” – quel horrible verbe- la porte est grande ouverte à tous les errements diagnostiques.
Et après on est surpris par la fréquence insoutenable humainement de la pathologie iatrogène ?
Merci de votre mise au point qui mérite une large diffusion, tant les esprits de tous les niveaux de compétence sont bornés… ou, soyons plus sympa… bernés par des armées d’exploiteurs au servce d’autres exploiteurs.
FMM
Ça me rappelle Georges Canguilhem. Le normal et le pathologique.
Des très bonnes pages sur la confusion entre la norme au sens de fréquence statistique et la norme au sens d’idéal, entre sain et banal, et corollairement entre rare et pathologique. Il fait remonter ça à Claude Bernard.