Article adapté d’un thread Twitter – en savoir plus
Un article paradoxal sur le NNT ou number needed to treat (nombre nécessaire à traiter), l’incertitude et la nécessité pour le médecin d’agir. Son titre, « la plupart des patients ne bénéficient pas de la plupart des médicaments » est provocateur, et factuellement vrai.
Cet article, difficile à résumer, est bien fait et intéressant à plusieurs niveaux. Pour ceux qui parlent anglais, il est utile de le lire entièrement. L’idée de l’article est de faire réfléchir sur cette notion que, lorsqu’un patient prend un traitement sur la base d’études cliniques et de moyennes, la plupart des patients ne tireront pas de bénéfice de ce traitement.
Exemples
En fait le NNT reflète le bénéfice absolu d’un traitement et donne une idée du nombre de patients parmi un groupe défini, qui vont bénéficier du traitement s’il est donné pendant un certain temps.
Par exemple, s’il faut traiter 50 patients par statines pendant 5 ans pour éviter un évènement cardio-vasculaire, le NNT pour ce critère sera 50.
Plus ce nombre est petit plus la proportion de patients qui bénéficiera du traitement sera importante. Par exemple un médicament dont le NNT est 5 a plus de chance de bénéficier à un patient pris au hasard, qu’un médicament dont le NNT est 50.
Si on ramène ces chiffres au nombre de patients parmi 100 à traiter pour que X d’entre eux bénéficient du traitement, un NNT de 5 équivaut à X=20 patients parmi 100 traités qui bénéficieront d’un traitement donné ou, autrement dit, 20% des patients.
Mais pour que la « plupart » des patients bénéficient du traitement il faudrait que le nombre de patients à traiter pour 100 soit inférieur à 50 et le NNT inférieur à 2, c’est-à-dire que plus d’un patient sur deux bénéficie du traitement, ce qui est très rare.
Dans le cas du risque cardio-vasculaire (CV) qui est très bien étudié, on connaît bien plusieurs facteurs qui interviennent sur le niveau de ce risque particulier, comme le tabagisme, l’alimentation, l’activité physique…
Il existe des tableaux de risque où les différents facteurs de risque sont combinés. Celui-ci est sympathique car interactif
Et le principal intérêt de combiner plusieurs facteurs de risque, est de pouvoir diviser l’ensemble de la population en sous groupes, donc des groupes plus petits, qui présentent différents niveaux de risque d’évènements cardio-vasculaires. Donc on a ainsi des niveaux de risque plus précis que la moyenne globale pour chaque sous-groupe.
Cela permet donc aussi de ne pas traiter toute la population au hasard, mais de traiter ceux qui ont le plus grand risque initial, afin de le réduire. La conséquence est l’amélioration du NNT pour les groupes traités. En effet, ce qui compte c’est le risque de départ, selon le sous groupe auquel vous appartenez. Plus ce risque initial est important, plus le bénéfice absolu d’une réduction du risque sera important pour vous.
Harriett Hall, l’auteur, explique bien les limites du NNT, qui n’a, finalement, en outre, que la valeur des études qui ont permis de le calculer.
Cet article est excellent, mais je ne suis pas d’accord avec la conclusion que voici
Pourquoi ne suis-je pas d’accord ? Parce que ce raisonnement ne tient plus, dès lors qu’on tient compte de la globalité du patient et de l’air du temps, c’est à dire de la tendance à la surmédicalisation. Cette tendance veut que les prescripteurs aient été incités par les recommandations à prescrire progressivement plus de médicaments à des patients qui auraient été considérés il y a vingt ans, comme en parfaite santé et donc non traités. À cela s’joute le problème de la polymédication chez des personnes âgées dont le nombre augmente en France en raison de la démographie. Chez les personnes âgées le rapport bénéfice risque (NNT versus NNH) peut être détérioré en raison de la dégradation fonctionnelle des organes permettant l’élimination des médicaments et en raison des risques d’interaction et d’effets indésirables démultipliés par des prescriptions multiples. Les chances de tirer un bénéfice net de plusieurs médicaments prescrits diminue avec leur nombre:
Polymédication et risque iatrogène chez le patient âgé (free.fr)
Raisonner en termes de pathologies et d’organes et en se centrant sur les traitements est, en effet, un défaut majeur de la médecine et cet article n’échappe pas à ce défaut.
Si on considère que le risque global de décès augmente avec l’âge, comme le risque d’hospitalisation, il ne s’agit pas d’un risque unique dû à une pathologie unique mais de plusieurs risques en compétition. Et quand on ajoute des médicaments aux médicaments pour prévenir différents risques, le risque prépondérant à prévenir finit par être celui qui résulte du nombre cumulé de médicaments et des risques d’interactions et d’effets indésirables qui en résultent.
D’autant que j’évoquais récemment le fait que les effets indésirables eux-mêmes des médicaments étaient souvent pris pour des symptômes indépendants traités par d’autres médicaments.
Donc, oui, la majorité des patients ne bénéficient pas de la plupart des traitements, mais NON cela ne signifie pas qu’on doive continuer à prescrire sans prendre en compte le patient dans sa globalité.
Pour ma part, je prône que le risque associé aux polyprescriptions soit traité de la même manière que le risque associé à des facteurs de risque, à la manière d’un autre facteur de risque à intégrer pleinement dans le calcul des risques encourus par les patients.
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